Puisse le Très-Haut m'accorder son pardon pour les heures et les journées que je vais devoir dérober au temps béni de la prière afin d'écrire cette histoire imparfaite de ma contrée, le florissant royaume d'Alidhan.
Cette prestigieuse Province est fort ancienne, bien peu se souviennent de ses débuts. Partant d'une simple châtellenie, Manelvor le grand père du bon Roy Mandural, à force de batailles, réussit à fédérer et unifier un Royaume, qui fut bientôt connu pour la paix qui y régnait et qui prospéra.
Son climat doux, les alizés de la mer sur laquelle donne la cité occidentale de Nedmor, capitale séculaire, apportent depuis toujours de bonnes récoltes et des étrangers avides de commercer. Il n'est pas rare de croiser dans les rues du port fortifié ou de la ville haute des marchands de soieries se rendant chez quelque noble dame.
Nos forêts sont giboyeuses et certaines ont la faveur des enchanteurs, et certaines rumeurs parmi la paysannerie marmonnent encore à propos de maléfices et de vils sorciers.
Héritier d'une longue lignée de seigneurs, le Monarque Mandural, que l'Eternel le protège, eut l'un des plus longs et des plus paisibles règnes.
Quand on parle du bon Roy, il s'agit de Mandural et de sa nature pacifique. Rien n'aurait dû troubler sa quiétude, s'il n'avait eu ses fils : Kaldrass l'aîné et Galoregor son cadet de quatre ans. Dès l'enfance tout les opposait. Kaldrass, enfant obéissant et respectueux des règles, calme et posé, peu porté sur l'action, apprenait auprès de son père la tâche ardue de gouverner. Galoregor, déjà, s'intéressant aussi à cet art délicat, trouvait que son frère serait trop faible pour l'assumer et pour faire d'Alidhan un royaume reconnu parmi les puissants. Et déjà il critiquait son père à propos de sa mansuétude à l'égard de la racaille.
La reine étant morte en donnant naissance à son deuxième fils, le Roy était seul pour les élever. Malheureux de leur mésentente, Mandural tint son trône le plus longtemps possible, refusant de choisir entre l'héritier légitime, son aîné, symbole de la continuité, et son cadet, empli d'ambition et qui le pressait d'abdiquer en sa faveur, afin disait-il de faire rayonner la splendeur du Royaume.
La plus proche et ancienne conseillère du Roy, le commandeur Zelandra, aux grands talents d'administratrice et de diplomate, s'abstint de toute recommandation en la matière.
Mandural mourut. C'était il y a huit années déjà. Mais sa longue vieillesse avait laissé le temps à Galoregor l'intriguant, âgé alors de vingt-trois ans, de s'assurer la fidélité d'une majorité de l'armée et de nobles barons, leur promettant conquêtes, or et privilèges.
Kaldrass, confiant et sûr de sa légitimité, ne soupçonna pas les manigances de son jeune frère et n'eut pas le loisir de monter sur le trône. Évincé, il fut banni et ne dut la vie sauve qu'à la défection de quelques fidèles soldats attachés à la tradition qui le libérèrent et s'enfuirent avec lui dans l'ancienne cité de Fuisserage, au Sud-est du Royaume. Ils y installèrent un quartier général qui bientôt devint une ville, comptant baraquements et commerces. C'est là que les Exilés s'apprêtent à reprendre le pouvoir.
Refusant de prendre parti et pressentant que les discordes royales ne faisaient que commencer, le Commandeur Zelandra s'en éloigna et établit au Nord du Royaume une communauté fort bien organisée et récusant toute autorité. La plaine de Cyrosh, abreuvée par le Ceth, donna naissance à une véritable cité paysanne, attirant de nombreux partisans qui se rallièrent à Zelandra.
Ainsi fut le passé, mais le présent est en construction. Chacune des factions que j'ai décrites se bat en ce moment même pour unifier le Royaume sous sa bannière, et l'avenir est plus qu'incertain. Très-Haut, je retourne à mes prières, tout en continuant d'observer ma contrée pour savoir qui des trois sera l'unique.